Article de Roger Pierre Turine dans Le Jeudi (Luxembourg).

Les rêves colorés d’une combattante.

Le musée Abteiberg de Mönchengladbach rend un superbe hommage à la Belge Evelyne Axell, amazone du Pop Art. Elle est morte jeune, à 37 ans, dans un stupide accident de voiture. Météorite de l’art, elle subjugue encore et toujours.

Extraits:

On dit parfois que les artistes morts à la fleur de l’âge ont eu de la chance. Vrai ou fausse, l’assertion se conforte de carrières fulgurantes au gré desquelles presque rien n’est à jeter, alors que de trop longues vies, à de rares exceptions près, poussent nombre de créateurs à la répétition abusive voire à l’édulcoration de leur cheminement. Pas de ça avec Evelyne Axell (1935-1972), que la camarde faucha alors qu’elle s’avérait en pleine explosion d’une écriture plastique pétrie dans les audaces, les novations et les agressions à juste titre. En moins d’un an, l’aura d’Axell aura fait mouche un peu partout en Allemagne, à Bruxelles, à Vienne et à New York à la faveur de solides réévaluations des voix plasticiennes féminines.

Tableau à caresser

Tableau à caresser

Universelle et intemporelle 

Loin d’être une conclusion de taille à cette juste mise sur le devant de la scène d’une égérie qui aura tenu sa place non pas en fomentant des lubricités de rencontre mais, bien au-delà, en allant au charbon nue et vindicative pour l’exacte cause du «Niet» aux ukases affligeants ou nauséabonds, cette exposition de l’Abteiberg vient à son heure. Une heureuse façon d’annoncer et susciter d’autres mises au parfum attendues.

Dès lors même que l’œuvre d’Axell, loin d’accuser les tics de son temps, semble doublement universelle et intemporelle.

L’espace largement ouvert et lumineux de l’Abteiberg convient parfaitement au déploiement de la soixantaine de travaux d’une dame que rien n’aura rebuté pour clamer à la face du monde son ras-le-bol face aux iniquités traditionnelles et vulgaires. Femme et soucieuse de le faire savoir à bride et petite culotte abattues, Evelyne Axell osa, la première, se profiler dans quasi chacun de ses tableaux. Point de nombrilisme pour autant, mais une rage viscérale de dire de quels pouvoirs et devoirs se charge une femme qui n’entend plus se voir convertie en serpillière.

Abattant les machismes à coup de machettes trempées dans le vitriol de matières plastiques inusitées – plexiglas, huiles pour carrosseries de voitures, poils et tissus synthétiques et couleurs fluo, transparences inédites – Axell subjugue, en outre, par l’intelligence de ses provocations, par l’authenticité de ses mises à nu, par l’air et le feu, le sang et les orgasmes qu’explicitent, sous les tensions, ses images loin des prêts-à-porter. C’est simple, d’un tableau, d’un paravent – car elle s’amusait à conforter des profondeurs de champ par des superpositions de matériaux et de chromatismes vibrants –, d’une scénographie à l’autre, Axell ne se répétait jamais, se jouait des redites en prolongeant l’incidence précédente d’une nouvelle image dans la veine de sa marche irrésistible en avant.

Basta les conventions 

Susanne Titz, directeur de l’Abteiberg et commissaire de l’expo Axelleration, a eu le nez fin en déployant cette œuvre de fièvre à travers tout le rez-de-chaussée du musée et, mieux encore, en provoquant, par la tangente qu’offraient d’autres lieux aux alentours, salles adjacentes du musée, de fécondes rencontres entre Axell et les mecs du Pop, les Warhol, Rauschenberg, Lichtenstein, Chamberlain, Segal ou Wesselman de la grande époque. Avec d’autres égéries aussi, telles Niki de Saint-Phalle ou Yayoi Kusama. Ou, dans la même salle qu’elle, avec deux pièces de Beuys, apparemment sans connivences mais d’une même époque chargée de sens et d’énergies de barricades. Des tableaux d’Axell accrochés deux mètres au-dessus du sol complètent bien le… tableau: basta les conventions, fussent-elles d’accrochage!

Le parcours est complet, encore peu ou prou dans une certaine ligne au début, puis qui s’enflamme, multiplie les tonalités ferventes et met le pied au champignon, quand Axell, au-delà de Mai 68 et des révoltes étudiantes, clame l’innocence d’être provoc, érige la vitesse en égérie d’une rage de vivre, fût-ce à outrance et au péril de sa vie. Pas d’œuvre à citer plus qu’une autre. L’ouvrage est à prendre dans son ensemble, tel qu’un long fil rouge ennoblit la vie et la mort. Celles d’une époque et d’une femme visionnaire.

Roger Pierre Turine

25 août 2011

 

 

 

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