Article de John Yau dans The Brooklyn Rail.

Axell’s Paradise: Last works (1971-1972) before she vanished.

 
(texte anglais ci-dessous)

Vous avez peut-être entendu parler d’une galerie d’art à la fois excentrique et excentrée, située au 1182 de Broadway entre la 28ème et la 29ème rue; si vous vous dites qu’un jour vous pourriez faire le détour, c’est le moment ou jamais d’y mettre le cap pour découvrir les vives et audacieuses peintures érotiques de l’artiste pop belge Évelyne Axell (1935-1972). Contemporaine et amie de l’artiste pop anglaise Pauline Boty (1938-1966) et de la sculpteuse polonaise avant-gardiste Alina Sczapocznikow (1926-1973) dont les œuvres ont également été exposées dans cette brillante petite galerie, Evelyne Axell nous laisse des tableaux et des dessins qui la placent au premier rang des artistes « dédaignés, négligés et oubliés ». C’est dire : dans tout l’ouvrage « POP », publié en 2005 dans la série Themes and Movements de Phaidon, compilé par Mark Francis (et préfacé d’un « état des lieux» de Hal Foster) le nom d’Evelyne Axell n’est pas mentionné une seule fois, alors qu’y sont recensés Allan D’Arcangelo, Allen Jones, John Wesley, Tom Wesselmann ou encore Rosalyn Drexler. Or Évelyne Axell a toute sa place dans ce panthéon et, de même que Pauline Boty et Rosalyn Drexler, elle incarne à travers son œuvre une véritable critique proto-féministe.

Cette nouvelle exposition, axée sur les toutes dernières œuvres réalisées par Évelyne Axell avant sa mort dans un accident de voiture, met en exergue ce qui lui a valu sa réputation en France où son plus ardent défenseur n’était autre que le critique Pierre Restany. Le style d’Évelyne Axell est explicite et direct. La plupart de ses derniers tableaux, composés comme des décors de théâtre, mettent en scène le corps humain – le plus souvent une femme nue – peint sur une découpe de plexiglas, quelquefois des deux côtés. L’image de ce corps, étendu ou détendu, est superposée sur un paysage luxuriant, lui-même réalisé dans d’autres tons sur un support de formica: en général, le nu en couleurs chaudes et le paysage en couleurs froides. Une couche d’émail rend la surface lisse et sensuelle, et chaque tableau est entouré d’un cadre sur mesure, dont les bords étroits sont minutieusement peints.

Dans «L’herbe folle» (1972), un voluptueux feuillage tropical se dresse comme une forêt de flammes, arborant deux teintes de bleu et surmonté d’un ciel au vert terne. Une femme nue allongée, perdue dans ses pensées tient dans sa main une paire de lunettes (accessoire fétiche de l’artiste). Des couleurs rouges et rouges orangées irradient son corps nu chauffé par le soleil, le téton marqué d’un point rouge, les lèvres écarlates. A l’instar des autres tableaux de la collection, le paysage est constitué de puissantes verticales (ici feuillages, là cascades ou palmiers), alors que le corps dénudé est à l’horizontale; le symbolisme est insolent et non complaisant. Vues dans le contexte du Modernisme, depuis les tahitiennes de Gauguin jusqu’aux Grands Nus Américains de Wesselmann, les œuvres d’Évelyne Axell bousculent l’image de la femme perçue comme territoire à coloniser ou objet consentant du fantasme masculin. Sa vision à elle, l’artiste nous la propose avec verve et sans concession, sans chercher ni à excuser ni à justifier l’intensité de son propre désir. Ses femmes nues sont maîtresses de leurs situations, elles sont elles-mêmes non maîtrisables, comme le soulignent les cadres aux bords soigneusement peints. À travers leur érotisme, ces images sont celles de l’autonomie et de l’autodétermination féminines, mais leur ton n’est pas au militantisme.

Dans un autre tableau intitulé « L’oiseau de paradis (version bleue) » datant de 1971, une femme nue se débarrasse d’un dernier vêtement qu’elle passe au-dessus de sa tête. Ses seins et ses bras sont bleus, ses lèvres rouges et sa fourrure pubienne orange. Tout autour, la découpe de plexiglas est laissée transparente. Un colibri orange virevolte non loin, prêt à goûter le nectar féminin. Le plexiglas non peint exacerbe le voyeurisme du spectateur, les zones peintes mettant en relief ce que certains considéreront comme les seules parties importantes du sujet: la bouche, les seins et le sexe. Comparés aux œuvres d’Evelyne Axell, les nus de Wesselmann font figure désuète et réprimée; quant aux femmes de Mel Ramos, elles paraissent tout bonnement simplistes.

D’autres tableaux et œuvres sur papier représentent des images partielles de femmes nues, le regard tourné vers l’extérieur du tableau, portant le nom de différents pays. Ainsi « La Tchèque » (1969) est accrochée dans le bureau de la galerie, aux côtés de l’un des deux portraits sur papier d’Angela Davis. On trouvera également un portrait de Yael Dayan (1969), issue de la même série de portraits incarnant la force féminine. Evelyne Axell dépeint les femmes comme des pays inaccessibles, déferlements d’indépendance toujours empreints d’imagination érotique.

Depuis quelques années, les galeries commencent à exposer les œuvres d’Alina Sczapocznikow et de Rosalyn Drexler; le New Museum a récemment monté une rétrospective de Dorothy Iannone. Le 22 janvier 2010 s’est ouverte à la galerie Rosewald-Wolf de l’Université des Arts de Philadelphie une exposition intitulée Seductive Subversion: Women Pop Artists 1958-1968, sous le commissariat de Sid Sachs. Incontournables après une trop longue absence, les œuvres de Pauline Boty y sont enfin présentées. Bien avant l’arrivée de Cindy Sherman, que j’ai entendu Peter Schjeldahl en personne qualifier de « génie », n’oublions pas que ce sont Évelyne Axell, Pauline Boty, Rosalyn Drexler et autres Alina Sczapocznikow quiont ouvert la voie. N’oublions pas non plus qu’Évelyne Axell est celle qui a su peindre sans fausse honte ses désirs érotiques, et qu’elle les a célébrés tout au long de sa carrière si tragiquement interrompue. Evelyne Axell fait figure de pionnière; et contrairement à Cindy Sherman, elle ne vide pas ses thèmes de leur substance.

Novembre 2009

JohnYau   (traduit de l’anglais par Robert Wolfenstein)

English text:
For those who are willing to go to a slightly out-of-the-way, risk-taking gallery, located at 1182 Broadway between 28th and 29th Street, now would be a good time to hightail it over there and discover the bright, bold, erotic paintings of the Belgian Pop artist Evelyne Axell (1935-1972).

A contemporary and friend of the English Pop artist Pauline Boty (1938-1966) and the innovative Polish sculptor, Alina Szapocznikow (1926-1973), whose work has also been shown in this small, smart, exciting gallery, Axell’s paintings and drawings epitomize “overlooked, neglected, and forgotten.” In POP (2005), published for Phaidon’s Themes and Movements series and edited by Mark Francis (with a “Survey” by Hal Foster), Axell is never mentioned, although Allan D’Arcangelo, Allen Jones, John Wesley, and Tom Wesselmann are discussed, as is Rosalyn Drexler. Axell belongs in this company, and, like Boty and Drexler, embodies a proto-feminist critique in her work.

This exhibition focuses on the very last works Axell made before she died in a car accident, and typifies what she became known for in France, where her biggest champion was the influential French critic Pierre Restany. Axell’s style is graphic and direct. Many of the last paintings are like stage sets. They consist of a figure—often a naked female—that is painted on a cut piece of plexiglass, sometimes on both sides. The prone or relaxed figure is mounted in front of a lush landscape done in a different palette on Formica; generally warm colors for the figure and cool colors for the landscape. She used enamel to achieve a sensual, flat surface and always painted the narrow frames that were especially made for each painting.

In “L’Herbe folle” (“The Mad Forest”) (1972), the voluptuous, flame-like tropical foliage is largely done in two shades of blue, with a muted green sky above. The nude reclining woman is holding eyeglasses (Axell’s signature prop) and daydreaming. Axell uses red and orange-red to emphasize the figure’s heated body, a red dot for a nipple and red for her lips. As with the other paintings in this group, the landscape contains strong verticals (tropical foliage, waterfall, palm trees) while the figure is often nude and horizontal; the symbolism is cheeky and obvious but never ingratiating. Seen within the context of Modernism, beginning with Gauguin’s views of Tahiti and including Wesselmann’s Great American Nude series, Axell’s views challenge the paradigm of woman as territory to be colonized or a willing subject of male fantasy. She does so unapologetically and with great verve, making no excuses or justifications for her intense desires. Her figures are in complete control and uncontrollable — the painted frames underscore this latter aspect. These are erotic images of autonomy and self-determination, and yet you don’t feel as if the artist is preaching.

In another painting, “L’ Oiseau de Paradis (version bleue)” “(The Bird of Paradise (blue version))”, (1971), a naked woman is pulling her last piece of clothing over her head. Her breasts and arms are blue, while her lips are red and her pubic hair is orange. The remainder of the plexiglass cutout is left transparent. An orange hummingbird flutters nearby, ready to sip the nectar. The unpainted plexiglass underscores the viewer’s voyeurism, while the paint makes plain what some viewers would consider the only important parts: mouth, breasts and sex. Wesselman’s nudes look repressed and corny next to Axell’s work, and Mel Ramos’s women look downright trivial.

In her other paintings and works on paper, Axell painted cropped views of nude women, generally looking off-frame, that are titled after different countries. “La Tchèque” (“The Czech”) (1969) hangs in the gallery’s office, along with one of the two works on paper of Angela Davis. There was also a portrait of Yael Dayan (1969) that, along with the one of Davis, was part of an ongoing series on strong women. She painted women as unknowable countries and celebrations of independence, all inflected by an erotic imagination.

In the last few years, there have been gallery exhibitions of Szapocznikow and Drexler, as well as the recent New Museum exhibition of Dorothy Iannone. The exhibition Seductive Subversion: Women Pop Artists 1958-1968, which has been organized by Sid Sachs, will open in Philadelphia on January 22, 2010 at The Rosewald-Wolf Gallery of the University of the Arts. Works of Boty will be in that exhibition, which is long overdue and absolutely necessary. Long before Cindy Sherman, whom I once heard Peter Schjeldahl call a “genius,” arrived on the scene, artists such as Axell, Boty, Drexler and Szapocznikow paved the way. That Axell was shameless about her erotic desires and celebrated them throughout her tragically brief career should not be forgotten. She was a groundbreaker, and, unlike Sherman, didn’t empty out her subject.

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